un excellent chat sur le Monde.fr : la violence à l'école ne peut être résolu qu'avec les parents
Le problème de la violence à l'école ne peut être résolu qu'avec les parents
Un excellent chat sur Le Monde.fr qui vient illustrer nos réflexions sur les causes et la prévention de la violence à l'école.
Dans un chat sur Le Monde.fr, Georges Fotinos, inspecteur honoraire de l'Education nationale, membre de l'observatoire international de la violence, regrette que les chefs d'établissement et les enseignants n'aient pas reçu de formation pour affronter le problème de la violence.
Tuvalu : Est-ce qu'autrefois (il y a 10 ans, 20 ans, 50 ans) il y avait moins de cas de violences scolaires? Ou alors ces faits sont-ils juste davantage médiatisés aujourd'hui?
Georges Fotinos : Non, il n'y avait pas moins de violences il y a 10-20 ans. La preuve : j'ai retrouvé un rapport d'un inspecteur général de 1979 où, ayant inspecté une cinquantaine de collèges dits "sensibles" en France, dans la moitié de ces collèges – et nous sommes en 1979 – la police est intervenue.
Vincent R. : N'y a-t-il pas dans ce cas une "radicalisation" de cette violence?
Ce n'est pas une radicalisation. Ce sont surtout des faits de violences physiques graves et qui sont assez rares et montés en épingle par une certaine presse, alors que le problème, dans les établissements scolaires, ce sont les microviolences.
C'est-à-dire toutes les agressions verbales, les harcèlements aux multiples formes et les comportements agressifs sans passage à l'acte.
Delphine : Bonjour, depuis le début de l'année scolaire, j'ai assisté à de nombreux conseils de discipline dans le collège du 15e arrondissement (Paris) où est scolarisée ma fille. Les élèves exclus à la rentrée ont été remplacés par d'autres, "pires", qui ont été exclus à leur tour, puis remplacés par d'autres "encore pires"... que penser de ce système des vases communiquant entre établissements, simplement pour "maintenir scolarisés" des élèves de moins de 16 ans? Pourquoi n'y a-t-il pas d'autre solution que de les ballader d'un établissement à l'autre?
Il existe d'autres solutions. Un certain nombre d'établissements ont mis en place des dispositifs que l'on appelle "sas", ou "ateliers relais", dans lesquels les enfants exclus bénéficient d'une remise à niveau tant sur le plan du comportement que sur celui des connaissances. Le résultat : en règle générale, plus de 70%, après quinze jours-trois semaines de ce petit parcours en parallèle, qui se situe normalement dans l'établissement, retournent dans leur classe ou une classe parallèle.
Urkel : Enseignante en école primaire, nous sommes confrontés cette année à plusieurs cas d'enfants violents et irrespectueux (enfants de CP et de CE2), n'ayant aucun respect des règles et de l'adulte.
Vous avez entièrement raison de soulever le problème de la violence à l'école maternelle et à l'école élémentaire, qui est en grande partie occultée tant par les parents d'élèves que par l'institution.
La meilleure façon de répondre à ce type de comportements est de développer, depuis la petite section maternelle jusqu'à la fin de la scolarité élémentaire – CM2 –, les "habiletés sociales". Pour être plus clair – et ça, je l'ai rencontré plus particulièrement au Québec mais aussi dans l'Etat de New York –, c'est de mettre en place un programme qui permet, d'une part, à l'enfant de savoir reconnaître l'émotion chez l'autre et l'émotion chez lui-même, afin tout simplement de la maîtriser ; et, d'autre part, de mettre en place des exercices réguliers et quotidiens d'apprentissage de la vie en commun.
Il existe un certain nombre de programmes portant exactement sur ce sujet, notamment en France. Celui élaboré par Jacques Fortin, médecin pédiatre et ancien conseiller technique de recteurs, s'appelle "Vivre ensemble". Ce programme est composé de fiches pédagogiques fondées, d'une part, sur des exercices en classe et, d'autre part, sur le travail ordinaire et disciplinaire de la classe.
Usage : Je constate chaque jour que l'école brutalise les enfants: des horaires démentiels, des programmes énormes, des classes surchargées, des évaluations sanctions, des cours qui ne font pas sens. La brutalité des enfants n'est-elle pas leur réponse à un système qui les broie alors même qu'ils sont de plus en plus demandeurs d'une humanité qu'ils ne rencontrent plus dans la société?
Vous avez entièrement raison. Je commence par le temps scolaire, que vous dénoncez. Actuellement, il est tout à fait exact que nos enfants, qu'ils soient à l'école primaire ou au collège ou au lycée, sont surchargés de travail et, ce qui est ridicule, sur un nombre très restreint de jours de classe.
Il faut vraiment agir. Plusieurs fédérations de parents d'élèves ainsi que des associations de médecins pédiatres, comme l'Académie de médecine, ont dénoncé récemment ce "scandale". Le ministre vient de décider d'organiser des Etats généraux des rythmes scolaires. Pour ma part, ayant été responsable de ce dossier au ministère il y a longtemps, je persiste à penser, preuves à l'appui, qu'un bon aménagement du temps scolaire, c'est-à-dire un allègement de la journée, une répartition dans la semaine et un allongement de l'année scolaire jusqu'à la mi-juillet, est le meilleur des cadres que l'on puisse trouver pour prévenir la violence à l'école.
Le CNRS (Conseil national de la recherche scientifique), l'INRP (Institut national de recherche pédagogique) et différents instituts universitaires avaient évalué il y a maintenant une dizaine d'années ces expériences d'aménagement du temps scolaire, et tous avaient conclu aux bienfaits de cette politique.
ProfHGBobigny : Professeur d'histoire géographie dans un collège de Bobigny, je ne parviens pas à comprendre comment on peut prétendre au ministère que le taux d'encadrement n'a rien à voir avec les violences dans les établissements (qui sont, très majoritairement, des violences entre élèves, reprécisons-le), et que 80 000 suppressions de postes sur 3 ans ainsi que la nomination d'enseignants non formés (de plus en plus fréquent avant même la réforme de l'année de stage, pour combler les manques de remplaçants) n'ont aucune incidence sur le taux d'encadrement des élèves.
Vous n'avez pas tort. Simplement, il faut considérer que l'accroissement des moyens est nécessaire mais non suffisant. Je parle en connaissance de cause, puisque pendant une dizaine d'années, j'ai inspecté les lycées et collèges de l'Académie de Créteil ainsi que ceux du Nord-Pas-de-Calais. Cela veut dire que sans projet, sans une dynamique commune, non seulement des adultes mais aussi une adhésion des élèves, vous pourriez avoir tous les "moyens" du monde que la situation évoluerait peut-être peu.
J'ai un exemple précis à vous donner : en 1998, l'année des grandes violences scolaires en banlieue, plus particulièrement en Seine-Saint-Denis, la plupart des moyens annuels supplémentaires du ministère avaient été attribués à cette académie. Au bout de deux ans, la situation était revenue à l'identique.
GreenZone : Bonjour M. Fotinos, pensez-vous que le personnel encadrant et enseignant est suffisamment formé pour gérer et surveiller des élèves de différents âges avec différentes préoccupations?
Non. C'est une grande lacune à l'éducation nationale. Par exemple, les chefs d'établissement, qui sont responsables en moyenne de 100 à 150 adultes, donc les gèrent, n'ont presque pas reçu de formation à la gestion des ressources humaines.
A titre de comparaison, tout responsable d'entreprise, petite ou grande, a bénéficié de ce type de formation. Ainsi, bien sûr, comme d'habitude, que les élèves de nos grandes écoles.
Joelle : Est-ce que le problème ne vient pas aussi du fait que ce sont parfois de très jeunes professeurs inexpérimentés qui sont envoyés dans les quartiers difficiles ?
C'est évident. Et malheureusement, c'est une vieille habitude de l'administration de l'éducation nationale. En 1960, mon premier poste d'instituteur a été d'être nommé directement dans une banlieue dite "sinistrée" avec pour élèves des "blousons noirs". Malgré certains efforts pour améliorer cette situation, cela continue.
Et la recherche internationale l'a démontré ainsi qu'Eric Debarbieux : c'est un des facteurs qui jouent le plus sur le déclenchement des faits de violences en milieu scolaire.
Vincent R. : La violence n'est-elle pas le fruit de la perte d'autorité de l'enseignant? Les pressions permanentes des parents d'élèves ne sont-elle pas la cause du comportement massivement irrespectueux que l'on observe à son égard?
Il est exact que l'enseignant a perdu de son autorité au niveau de la classe. Une des raisons, au-delà de la psychologie et du comportement de l'enseignant lui-même, est que le système s'est "administratisé". En effet, lorsqu'un événement surgit dans une classe, l'enseignant a à sa disposition tout un dispositif qui prend en charge l'élève "violent", c'est-à-dire qu'il commence une chaîne administrative qui part du délégué d'élève, en passant par le médiateur, l'assistant d'éducation, le CPE, le chef d'établissement adjoint et, in fine, si nécessaire, le chef d'établissement.
Ce qui veut dire que face à l'élève, l'enseignant est en complète déresponsabilisation pour répondre à cet événement.
Guy : La violence institutionnelle n'est-elle pas la principale responsable du phénomène global?
Non. Le principe même de l'éducation est un principe "violent". Apprendre ne se fait pas spontanément. Il faut de l'effort et une participation à des normes, des règles. Les disciplines scolaires (histoire-géographie, mathématiques, français, etc.), comme leur nom l'indique, sont par certains côtés imposées.
Franck : La violence scolaire n'est-elle pas la traduction de l'hyper-compétitivité économique dans le domaine scolaire pour obtenir la meilleur formation puis le meilleur emploi?
Ma connaissance des établissements scolaires (lycées et collèges) depuis une vingtaine d'années m'incite à vous répondre non, pour l'instant. En effet, plus le temps passera, plus la concurrence sera forte entre les établissements, et j'irai même jusqu'à vous dire pour les écoles primaires.
Martine75 : Est ce que la violence à l'école vient des jeux vidéo?
Je n'ai pas fait d'étude sur ce sujet précis, mais il me semble, notamment pour les enfants ayant des problèmes psychologiques, que cela doit influer.
Ju : Pensez-vous que l'installation de portiques (comme dans les aéroports) et de caméras de vidéo surveillance est efficace ?
Les études américaines ont démontré que les portiques ne servaient pas à grand-chose, puisque des incidents graves dans les établissements qui en étaient dotés se produisaient. Cela ne veut pas dire que, dans certaines circonstances, à titre dissuasif, leur installation n'est pas bénéfique. Pour ma part, l'installation de caméras vidéo, notamment dans les lycées ou collèges ayant une architecture labyrinthique, est vraiment nécessaire.
Joelle : Quelle est selon vous la responsabilité des parents dans la violence scolaire? Est-ce que certains ne donnent pas le mauvais exemple, en contestant les punitions par exemple ?
Le problème de la violence à l'école ne peut être pleinement résolu qu'avec le consentement et la participation des parents. Pour ce faire, il faut que les parents soient associés de façon plus proche au fonctionnement de l'école et que les enseignants acceptent de les considérer comme des partenaires. Quand cela fonctionne réellement, c'est-à-dire quand les parents sont associés à des projets éducatifs, et non seulement "convoqués" par le directeur, le chef d'établissement ou l'enseignant pour toujours un fait à reprocher à leur enfant, la violence diminue considérablement.
Je vous cite en exemple un collège de 900 élèves de Champigny, quartier des Mordacs (Val-de-Marne), situé en ZEP et en zone violence, où au cours de l'année scolaire il n'y avait aucun conseil de discipline. Toute l'organisation était centrée sur le partenariat avec les parents.
Chat modéré par Maryline Baumard et Caroline Monnot
Article paru dans l'édition du 07.04.10
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